Les hommes parfois maitres de leur destin.

Extrait de la pièce Jules César, Acte I, Scène 2, William Shakespeare

 CASSIUS : Préparez-vous donc à m’écouter, bon Brutus ; et puisque vous vous reconnaissez incapable de bien vous voir sans réflecteur, je serai, moi, votre miroir, et je vous révélerai discrètement à vous-même ce que vous ne connaissez pas de vous-même […]

Fanfares et acclamations au loin.

BRUTUS : Que signifie cette acclamation ? Je crains que le peuple ne choisisse César pour son roi.

C.: Ah ! vous le craignez ? Je dois donc croire que vous ne le voudriez pas.

B.: Je ne le voudrais pas, Cassius, et pourtant j’aime bien César… Mais pourquoi me retenez-vous ici si longtemps ?… Qu’avez-vous à me confier ? Si c’est du bien public qu’il s’agit, montrez-moi d’un côté l’honneur, de l’autre la mort, et je les considérerai l’un et l’autre avec le même sang-froid […]

C.: Je vous connais cette vertu, Brutus, comme je connais vos traits extérieurs. Eh bien ! c’est d’honneur que j’ai à vous parler. […]

Fanfares. Acclamations.

B: Une autre  acclamation ! Je crois qu’on applaudit à de nouveaux honneurs qui accablent César.

C.: Eh ! ami, il enjambe cet étroit univers comme un colosse, et nous autres, hommes chétifs, nous passons sous ses jambes énormes […]. Les hommes, à de certains moments, sont maîtres de leurs destinées. Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles. Brutus, César ! Qu’y-a-t-il dans ce César ? Pourquoi ce nom résonnerait-il plus haut que le vôtre ? Ecrivez-les tous deux ; le vôtre est aussi beau ; prononcez-les, il est aussi gracieux à la bouche ; pesez-les, il est d’un poids égal ; employez-les à une incantation, Brutus évoquera un esprit aussi vite que César. […]

Interprétation managériale de l’extrait

Que cherche à réaliser Cassius à travers ce dialogue avec Brutus, qui s’architecture autour d’un recadrage et d’un effet miroir ? A insuffler en Brutus la motivation nécessaire à aller de l’avant et à entreprendre ce qu’il désire ! A le motiver.

Dans les sciences humaines, la motivation se définit comme l’énergie qui pousse à agir, qui encourage les  initiatives, qui active le pouvoir d’agir. La motivation est le moteur managérial par défaut, le facteur clef de succès de la performance, qu’elle soit individuelle ou collective, le saint Graal des RH.

Une théorie dominante dans ce domaine est la théorie de l’autodétermination développée par Edward Deci et Richard Ryan. Elle identifie que les individus possèdent trois besoins psychologiques fondamentaux : l’autonomie, la compétence et l’affiliation. Ces trois besoins possèdent une origine évolutionnaire : afin de survivre, un groupe a besoin de flexibilité et de solidité.

• La compétence concerne le sentiment d’efficacité et de maîtrise dans ses activités. Elle favorise une orientation résultat de l’activité professionnelle tout donnant de la flexibilité opérationnelle.
• L’autonomie se réfère au sentiment de contrôler ses propres actions et décisions. Elle permet des économies de temps et de charge mentale et confère également de la flexibilité opérationnelle.
• L’affiliation, ou le besoin de relation et d’appartenance, implique le désir de se sentir connecté aux autres ; également il permet de répartition des charges, la complémentarité et la remplaçabilité des membres du groupe. Elle donne la solidité opérationnelle.

D’après Deci & Ryan, la satisfaction récurrente de ces 3 besoins demeure essentielle afin de favoriser la motivation intrinsèque, c’est-à-dire l’engagement dans une activité pour le plaisir et l’intérêt qu’elle procure, plutôt que pour des récompenses externes, telles que des augmentations de salaire, primes, avantages en nature, etc.. dont l’effet long terme est parfois réfutable. Lorsque ces besoins sont comblés, les individus sont plus susceptibles de s’engager de manière proactive, de démontrer de la créativité et de persévérer face aux défis. À l’inverse, dans le cas d’une insatisfaction de ces besoins, la motivation peut devenir extrinsèque voire diminuer, altérant ainsi le bien-être et la performance à terme.

Outre son orientation centrée sur l’humain, j’apprécie cette théorie de l’auto-détermination grâce à une connexion sous-jacente à l’intelligence émotionnelle. Effectivement l’approche de Deci & Ryan mobilise une émotion primaire extrêmement intéressante à plus d’un titre : la joie. Un collaborateur intrinsèquement motivé ressentira profondément et durablement cette émotion, induisant des sensations corporelles de légèreté et activant ainsi des hormones favorables à une haute qualité de vie.

Alors, motivé à motiver ?

Scénario possible dans le contexte professionnel :

Imaginez une manager, Sophie, qui souhaite renforcer la motivation de son équipe. Pour répondre au besoin d’autonomie de celle-ci, elle décide d’impliquer ses collaborateurs dans le processus décisionnel en leur demandant : « Comment pensez-vous que nous devrions aborder ce projet ? ». Pour satisfaire le besoin de compétence, elle propose des formations ciblées et offre des retours constructifs : « J’ai remarqué tes progrès sur cette tâche ; continuons dans cette direction. ». Enfin, pour favoriser l’affiliation, elle organise des réunions d’équipe informelles et encourage le mentorat entre collègues. En adoptant ces approches – ou des variantes que vous serez libres de composer-, Sophie crée un environnement où ses employés se sentent autonomes, compétents et connectés, ce qui stimule in fine leur motivation intrinsèque et améliore leur performance globale.

Ressources complémentaires

Ouvrage de référence : Deci, Edward L., et Ryan, Richard M. (2017). Self-Determination Theory: Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness. Guilford Press.

Podcast : La motivation, comment ça marche ?

TEDx: Promoting Motivation, Health, and Excellence: Ed Deci at TEDxFlourCity

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